Le developpement selon Rostow
- Walt Whitman Rostow 1916-2003
- 17 avr. 2017
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Pour Rostow, le développement serait un phénomène inéluctable. Certains pays ayant simplement débuté le processus avant d'autres, tout ne serait donc qu'une question de temps. Mais, sous certaines conditions, le développement pourrait être accéléré. W.W. Rostow dans son ouvrage « Les étapes de la croissance économique » a tenté de « dégager les caractéristiques uniformes de la modernisation des sociétés». Selon lui, les sociétés parcourent au cours de leur développement cinq différentes étapes : la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage, le décollage, le progrès vers la maturité et l’ère de la consommation de masse.
A. La société traditionnelle
C'est une société stationnaire dont l'agriculture, activité principale (75% au minimum de la population active est engagée dans la production de denrées alimentaires), a imposé une structure sociale fondée sur la propriété foncière. Elle se réfère à un système de valeurs fondé sur le fatalisme et n'aspire pas au changement. « Du point de vue historique, nous groupons donc sous le terme de société traditionnelle tout le monde pré newtonien : les dynasties chinoises, la civilisation du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen, le monde de l'Europe médiévale. Et nous y ajoutons les sociétés post newtoniennes qui, pendant un certain temps demeurèrent étrangères ou indifférentes à la capacité nouvelle qu'avait l'homme d'utiliser systématiquement son milieu physique pour améliorer sa condition économique ». Hormis la consommation, le revenu national est dépensé à des fins non-productives. La société est hiérarchisée lorsque le pouvoir est concentré entre les mains des propriétaires terriens, ou incarnée dans une autorité centrale qui s’appuie sur l’armée et les fonctionnaires.
B. Les conditions préalables au décollage
Si l'Angleterre, a atteint cette étape par le fait de causes internes, Rostow estime qu'il n'en est plus de même depuis car ces conditions sont nées d'une impulsion extérieure venue ébranler l'édifice traditionnel. Cette étape se caractérise par de profondes mutations dans les trois secteurs non industriels : les transports, l’agriculture et le commerce extérieur. On assiste à la mise en place de structures favorables au développement notamment par le développement du système bancaire et la création de l'infrastructure nécessaire au développement industriel. Rostow souligne le rôle "moteur" dévolu au secteur agricole qui par les gains de productivité qu'il enregistre permet de nourrir une population croissante, assure les exportations nécessaires à l'équilibre des échanges extérieurs et autorise la réunion des conditions nécessaires au développement industriel. « Dans le domaine des échanges extérieurs, le changement se manifeste par l’augmentation des importations, financée par la meilleure mise en valeur et l’exportation des ressources naturelles ou encore l’importation de capitaux ». Le développement des transports et des moyens de communication s’opère généralement en liaison avec la commercialisation des matières premières qui « présentent un intérêt économique pour d’autres pays », et souvent financé par des capitaux étrangers ». On note également une évolution des mentalités et des méthodes de travail : à l'intérieur du pays s'opère une prise de conscience d'une possible action de mise en valeur des ressources naturelles dans un but de "dignité nationale, profits privés, meilleures conditions de vie pour les générations futures". Au cours de cette période, Rostow voit l'apparition de l'entrepreneur schumpétérien qui par son action va révolutionner les méthodes de travail. La notion de progrès économique, émane généralement de l’extérieur et se diffuse à travers les élites nationales.
C. Le décollage
« Le décollage est la période pendant laquelle la société finit par renverser les obstacles et les barrages qui s'opposaient à sa croissance régulière. Les facteurs de progrès économique, qui jusqu'ici n'ont agi que sporadiquement et avec une efficacité restreinte, élargissent leur action et en viennent à dominer la société. La croissance devient la fonction normale de l'économie. Les intérêts composés s'intègrent dans les coutumes et dans la structure même des institutions ». Cette étape cruciale est d’une durée relativement brève : une à deux décennies.
WW. Rostow pose trois conditions essentielles au décollage :
- le taux d'investissement productif passe de moins de 5 pour cent à plus de 10 pourcent du revenu national, de ce fait « il déborde nettement la pression démographique ». Cette augmentation de l'investissement se fera par un large appel aux capitaux extérieurs.
- la création d'industries motrices susceptibles d’entraîner l'apparition d'industries d'amont et d'aval. Ces industries pourront être stimulées dans leur croissance par le développement du commerce extérieur ou encore la substitution de la production nationale aux importations. Par ailleurs, une large diffusion des innovations et des taux d'intérêt faibles facilitent le mouvement d'industrialisation.
- la mise en place rapide d'un appareil politique, social et institutionnel axé vers le développement afin que "le taux de croissance de l'économie puisse, par la suite, rester constant". Comme l’écrit T. Szentes : « le décollage est accompagné d’une victoire politique, sociale et culturelle, décisive, des futurs responsables de la modernisation de l’économie sur les partisans de la société traditionnelle ou ceux qui poursuivaient d’autres buts ». W.W. Rostow tente de dater historiquement le décollage de certains pays : « On peut situer approximativement le décollage de l'économie britannique aux vingt dernières années du XVIII ème siècle; celui de la France et des Etats-Unis, à la période de 1830 à 1860; celui de l'Allemagne, au troisième quart du XIXème siècle; celui du Japon, aux vingt-cinq dernières années du XIXème siècle »
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D. Le progrès vers la maturité
C'est une période de progrès soutenu au cours de laquelle la croissance gagne l’ensemble des secteurs de l’économie et on assiste à une mise en œuvre plus générale des techniques modernes.
Elle se caractérise par :
- un nouvel accroissement du taux d'investissement qui passe de 10 à 20 pour cent du revenu national.
- une diversification de la production: "l'économie prouve qu'elle est en mesure d'aller au-delà des industries qui l'ont fait démarrer à l'origine", par l'apparition de nouveaux secteurs dominant dans l'industrie.
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- la structure de la population active se modifie (la main d’œuvre devient plus urbaine)et on note un phénomène d'urbanisation croissant.
- « la notion de dirigeant d’entreprise évolue également, et le gestionnaire, avec ses connaissances et sa vision plus large des choses prend de plus en plus d’importance.
Les objectifs de la société commencent à ne plus se borner à l’application de la technologie moderne aux ressources. L’expansion de l’industrialisation cesse d’être la considération majeure, qui l’emporte sur toutes les autres ».
F. L'ère de la consommation de masse
« La production de biens de consommation durables et les services deviennent progressivement les principaux secteurs de l'économie » . Les objectifs de la société évoluent vers la consommation et le bien-être. A ce stade, les Etats peuvent privilégier trois différentes politiques:
- la recherche de la puissance et de l'influence extérieure,
- la création d'un Etat providence,
- l'élévation des niveaux de consommation « dépassant les besoins alimentaires, le logement et les vêtements nécessaires ».
« Après s’être laissés brièvement et superficiellement tentés par l’hégémonie mondiale, au tournant du siècle, les Etats-Unis ont, selon Rostow, choisi sincèrement et de tout cœur la voie de la consommation de masse dans les années 20, et connaissent depuis ce stade de croissance. D’autre part, alors que l’Europe occidentale et le Japon entrent dans l’ère de la consommation de masse et que l’Union soviétique « folâtre à la zone limitrophe », on peut dire que les Etats-Unis ont dépassé ce stade dans la mesure où, par suite de la « marche des intérêts composés », la société du pays « se rapproche du point où la quête de la nourriture, du toit, des vêtements, ainsi que des biens de consommation durables et des services publics et privés ne commande » plus son existence. De nouvelles perspectives se sont ouvertes au-delà de la consommation de masse et la société se tourne aujourd’hui vers de nouveaux objectifs plus élevés. Rostow en veut pour preuve le fait qu’aux Etats-Unis la natalité a augmenté ainsi que la proportion de familles nombreuses».
G. Les critiques apportées au schéma de développement linéaire
Tout d’abord, J. Austruy note que l'analyse des étapes de la croissance économique présente une tentative de synthèse nouvelle du processus de développement et, en cela, elle est remarquable. WW. Rostow a également souligné dans son analyse l'idée importante de rupture que constitue le développement lors de la définition du décollage. Par ailleurs, son schéma permet la prise en compte les pays du bloc communiste, « les pays socialistes représentent un certain stade ou une certaine variante du processus général de développement et seront un jour ou l’autre semblables aux pays capitalistes les plus avancés. Rostow ne considère plus les pays socialistes comme relevant d’une absurdité ou d’une erreur historiques, comme une plante sauvage à arracher».
Toutefois de nombreuses critiques ont été formulées à l'encontre du schéma de Rostow :
a) Pour certains, ce schéma présente un caractère universel en ce sens qu'il s'applique indifféremment à toutes les sociétés sans tenir compte de leurs spécificités.
b) Sur le plan historique, cette théorie apparaît déterministe car elle ignore que les pays actuellement sous-développés doivent faire face à des problèmes différents de ceux qu'ont eu à affronter les nations aujourd'hui industrialisées au cours de leur processus de développement.
c) Pour d'autres, la théorie linéaire est teintée d'ethnocentrisme car l'évaluation des performances des nations en développement se fait sur la base de l'expérience du monde occidental.
d) Il apparaît également que les limites entre les diverses étapes sont assez floues, certaines caractéristiques se retrouvant à l'intérieur de phases différentes
Concernant l’étape du décollage, S. Kuznets écrit : « les limites de l’étape du décollage sont floues ; ses caractères propres ne sont pas définis avec précision ; nous ne pouvons que nous fonder sur le niveau du taux d’investissement et du taux de croissance du produit qu’on peut en déduire. Nous ne disposons donc d’aucun élément assez solide pour discuter les relations analytiques que le professeur Rostow établit entre l’étape de décollage et les étapes qui la précèdent et la suivent immédiatement». A. K. Cairncross souligne également l’imprécision des définitions des différentes étapes et le défaut de spécificité des caractéristiques. « Si les différentes étapes empiètent l’une sur l’autre, à quoi donc correspond une étape ?».
e) Enfin, la dernière étape, objectif du processus de développement est entièrement calquée sur la situation des USA au cours de la décennie soixante; est-ce le seul horizon possible du développement?
W.W. Rostow : Les cinq étapes de la croissance économique, Paris, Le Seuil, 1970